Adressé à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) : principales évolutions du phénomène des drogues et des toxicomanies en France

 

Rapport national à l'OEDT - 2013


1. Politique des drogues : législation, stratégies et analyse économique

Au cours de la période 2012-2013, les efforts du législateur ont globalement été consacrés à la réduction de l’offre. Plus spécifiquement, ils ont porté sur l’encadrement de la vente des médicaments sur Internet et la lutte contre leur falsification. Sur le plan de la coopération policière au niveau international, de nouveaux accords bilatéraux ont été engagés par le gouvernement. En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, des dispositions légales visant à renforcer la sécurité intérieure ont été également adoptées.

En septembre 2013, le plan gouvernemental 2013-2017 de lutte contre la drogue et les conduites addictives, préparé par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, a été adopté lors d’un comité interministériel. Ce plan repose sur trois grandes priorités : fonder l’action publique sur l’observation, la recherche et l’évaluation ; prendre en compte les populations les plus exposées pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux ; et renforcer la sécurité, la tranquillité et la santé publiques au niveau national et international.

Les crédits du budget de l’État votés pour mettre en œuvre la politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives représentent 1 108 M€ en 2012. En ce qui concerne les dépenses de l’Assurance maladie, le financement des structures d’addictologie s’est élevé à 334 M€ en 2012. Il faut y ajouter une contribution supplémentaire de l’Assurance maladie de 37 M€ dans le cadre de deux plans relatifs aux addictions et à la santé en prison. Au total, les crédits déployés par l’État et l’Assurance maladie pour assurer la mise en œuvre de la politique de lutte contre les drogues et de prévention des conduites addictives représentent en 2012 un montant de 1 479 M€, contre 1 428 M€ en 2011.

 

2. Usages de drogues en population générale et au sein de groupes spécifiques

Les dernières données disponibles en population générale sont issues de l’enquête Baromètre santé 2010 de l’INPES, ainsi que des enquêtes en population adolescente et en milieu scolaire (ESCAPAD 2011, ESPAD 2011 et HBSC 2010).

Les données en population générale âgée de 15 à 64 ans traduisent une stabilisation globale des niveaux d’usage du cannabis au cours des 12 derniers mois (autour de 8,4 %). La hausse de l’expérimentation de cannabis est liée à un effet de stock des générations anciennes de fumeurs. Parmi les produits plus rares, la cocaïne enregistre une hausse significative de l’expérimentation et de l’usage au cours de l’année (respectivement de 2,4 % à 3,6 % et de 0,5 % à 0,9 %). L’enquête révèle par ailleurs une augmentation de l’expérimentation d’héroïne, passant de 0,8 % à 1,2 %, et des champignons hallucinogènes (de 2,6 % à 3,1 %), alors qu’au contraire l’ecstasy semble en recul.

Concernant les jeunes de 11 à 17 ans, les très jeunes sont rarement concernés par les consommations de drogues illicites (expérimentation inférieure à 6,4 % à 13 ans). À partir de 15 ans, le cannabis reste le produit le plus consommé par les jeunes Français. Parmi les autres drogues illicites, les poppers, les produits à inhaler et les champignons hallucinogènes sont les plus expérimentés (à 17 ans, 9,0 %, 5,5 % et 3,5 % respectivement, contre 41,5 % pour le cannabis).

 

3. Prévention

En matière d’alcool et de tabac, la politique de prévention s’appuie largement sur une stratégie environnementale, essentiellement instaurée par le législateur. Ainsi, outre les mesures d’éducation pour la santé, elle repose sur le contrôle des prix (via la fiscalité), de la vente (composition, conditionnement), de la distribution et de l’usage (chez les plus jeunes, dans certains lieux ou certaines situations), ainsi que sur la restriction de la publicité.

L’année 2012 a constitué une période de transition, dans l’attente des nouvelles orientations en matière de prévention des conduites addictives. Elle n’a pas donné lieu à de nouveaux développements dans ce domaine. Des consultations des différents acteurs ont été engagées en 2012 par la MILDT afin de définir une politique de prévention structurée et basée sur des données scientifiquement validées. Le milieu scolaire (principalement l’enseignement secondaire) reste le lieu privilégié de la prévention universelle, ainsi que le milieu professionnel.

 

4. Usage problématique

Une étude multicentrique de type « capture/recapture » a été lancée fin 2010 dans 6 villes françaises : Lille, Lyon, Marseille, Metz, Rennes et Toulouse. Les données de prévalence recueillies dans ces différentes villes ont permis de réaliser une évaluation du nombre d’usagers problématiques de drogues en 2011, située entre 275 000 et 360 000 personnes. Les prévalences moyennes estimées par les différentes méthodes semblent être en augmentation par rapport à 2006. Il est cependant difficile de conclure, compte tenu de la largeur des intervalles de confiance qui se recoupent très largement pour ces deux années.

L’étude ENa-CAARUD 2012 montre la vulnérabilité sociale importante des usagers problématiques de drogues qui fréquentent les structures de réduction des risques :
- près de la moitié de ces usagers (47 %) ont des conditions de logement instables (sans domicile fixe, squat, logement provisoire) ;
- un usager sur quatre ne dispose d’aucun revenu licite ; 57 % vivent de revenus de solidarité sociale (principalement RSA et AAH) ;
- environ 14 % d’entre eux ont connu en 2012 un épisode d’incarcération.

En ce qui concerne les consommations de substances dans le mois passé, un tiers des usagers (31 %) a pris de l’héroïne, 37 % de la BHD (78 % dans le cadre d’un traitement de substitution) et 36 % de la cocaïne. D’après le système d’observation TREND, on note une dispersion des usagers les plus fragiles, qui tend à aggraver leur précarité, et des problèmes croissants liés à l’alcoolisation chronique chez les usagers plus âgés. Par ailleurs, l’essor de l’inhalation à chaud se poursuit et s’étend à d’autres produits que l’héroïne et la cocaïne.

 

5. Prise en charge : demande et offre de soins

Les chiffres sur les nouveaux patients accueillis en 2012 dans les CSAPA en ambulatoire ne font pas apparaître de modifications importantes dans les caractéristiques de ces patients. L’âge moyen a augmenté de façon continue entre 2005 et 2011 et s’est stabilisé en 2012 à un peu moins de 31 ans (30,8 ans). Ce vieillissement est lié à une baisse d’environ 10 points de la part des 15-24 ans au profit des personnes âgées de 40 ans et plus, dont la part a doublé, passant de près de 11 % en 2005 à plus de 22 % en 2012. Concernant la répartition des patients suivant le produit posant le plus de problèmes, on observe sur la période 2007-2012 une tendance à la baisse de la part du cannabis (malgré l’augmentation constatée en 2011) et une tendance presque symétrique à la hausse pour les opiacés.

S’agissant des traitements de substitution aux opiacés, plus de 150 000 personnes ont bénéficié d’un remboursement pour ces médicaments en 2011 avec, spécificité française, une nette prédominance de la BHD qui représente 71 % de l’ensemble, même si la part de la méthadone augmente d’année en année.

 

6. Conséquences sanitaires

Le nombre de nouveaux cas de sida chez les usagers de drogues par voie injectable (UDVI) est en baisse continue depuis le milieu des années 1990. En 2011, parmi les nouveaux cas de sida, 7,4 % étaient diagnostiqués chez des UDVI (contre un quart au milieu des années 1990).

La prévalence de l’infection au VIH et au VHC semble diminuer depuis plusieurs années, en raison des mesures de santé publique et de l’évolution des pratiques des usagers de drogues. La prévalence déclarée du VHC parmi les UDVI reste cependant encore élevée : elle se situe autour de 33 % en 2012 mais la prévalence réelle est sûrement plus importante.

Selon les dernières données disponibles, le nombre de décès par surdose chez les 15-49 ans s’est stabilisé autour de 300 depuis 2008 (294 décès en 2010 contre 305 l’année précédente). En 2010, les médicaments de substitution aux opiacés, notamment la méthadone, seraient responsables d’une part plus importante de décès par surdose que l’héroïne.

 

7. Réponse aux problèmes sanitaires liés à l'usage de drogues

La prévention des pathologies infectieuses liées à l’usage de drogues repose sur la politique de réduction des risques, incluant notamment la diffusion de matériel d’injection stérile à usage unique, d’informations sur les risques liés à l’usage de drogue et l’accès au traitement de substitution aux opiacés. Elle repose également sur l’incitation au dépistage du VIH, VHC et VHB et l’incitation à la vaccination contre le VHB.

En 2010, 9,9 millions de seringues ont été vendues ou distribuées via les CAARUD (y compris automates), les automates hors CAARUD et les kits Stéribox® en pharmacie. En l’absence de données sur les seringues disponibles à l’unité dans les pharmacies, il n’est pas possible de comparer avec les 14 millions estimés en 2008, dans une tendance de baisse continue depuis la fin des années 1990. En matière de dépistage, la part des usagers des CAARUD n’ayant jamais pratiqué de dépistage, qui avait d’abord régressé, puis stagné entre 2008 et 2010, diminue à nouveau en 2012. La majorité des usagers se déclarant infectés par le VIH ou le VHC a bénéficié d’au moins une consultation médicale en lien avec son infection dans l’année, mais ils sont moins nombreux à suivre le traitement adapté.

 

8. Conséquences sociales et réinsertion sociale

En 2011, les indicateurs relatifs à la situation sociale des usagers accueillis dans les CSAPA vont, comme les années précédentes, dans le sens d’un recul de la précarité. Toutefois, cela pourrait être lié à la hausse de l’âge moyen et de la proportion de personnes ayant un problème avec l’alcool, deux facteurs de moindre précarité. Dans les CAARUD, en revanche, on assiste à une remontée de la part des usagers fortement précaires.

En France, l’accompagnement social des personnes usagères de drogues est très majoritairement assuré par les structures spécialisées (CAARUD et CSAPA). Toutefois, en 2010, seulement 15 % des actes réalisés par les CAARUD concernent l’accès aux droits administratifs et sociaux. Parmi ces actes, à peine un quart porte sur les démarches d’hébergement, alors que les activités de recherche ou de maintien d’emploi ou de formation n’en représentent que 10 %.

Des programmes liés à l’hébergement, la formation et l’emploi à destination des usagers de drogues sont mis en place dans les structures spécialisés mais aucun système d’observation ne permet de suivre leur mise en place.

 

9. Criminalité liée à l'usage de drogues, prévention de la criminalité liée à l'usage de drogues et prison

En 2012, le nombre de personnes mises en cause par les services de police pour usage simple est 5 à 6 fois plus élevé que pour l’ensemble des autres infractions liées aux stupéfiants (119 185 contre 21 017). Les interpellations pour usage simple représentent ainsi 86 % du total des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS). Les 14 % restants sont des interpellations pour usage-revente ou trafic local, le trafic international restant plus rare (1 % des ILS). Le cannabis est à l’origine de 90 % des interpellations pour usage et 70 % de celles pour trafic et usage revente.

Le nombre de condamnations pour ILS a doublé entre 1990 et 2010, pour atteindre près de 50 100, dont plus de 29 000 pour usage simple. Ce sont les condamnations pour ce dernier type d’infraction qui ont le plus progressé, puisque leur nombre a plus que triplé depuis 1990, avec une hausse particulièrement marquée depuis 2004 (+ 16 % de hausse moyenne annuelle).

Dans le domaine de la sécurité routière, les condamnations pour conduite sous l’emprise de stupéfiants ont elles aussi fortement augmenté au cours des dernières années (16 264 en 2011 contre 12 428 en 2010 et moins de 6 600 en 2008), ce qui représente une hausse de 31 % sur la dernière année disponible. Parmi celles-ci, environ 34 % ont entraîné une peine de prison (à plus de 80 % avec sursis), près de la moitié une amende et 17 % une peine de substitution (le plus souvent la confiscation du permis de conduire).

 

10. Marché des drogues

La disponibilité et l’accessibilité de substances comme l’héroïne et la cocaïne restent élevées en 2012. Cette situation est notamment favorisée par la forte implantation des réseaux importateurs d’héroïne en provenance d’Afghanistan via les Balkans et l’investissement de certaines organisations des banlieues défavorisées des grandes villes françaises dans le trafic de cocaïne. En outre, la proximité des pays de stockage (Belgique, Pays-Bas, Espagne) de ces deux substances permet un approvisionnement direct, auprès des grossistes installés au-delà des frontières.

On observe, pour l’héroïne comme pour la cocaïne, une baisse de la pureté des échantillons saisis dans la rue.

Comme en 2011, les deux grands phénomènes à retenir en 2012 concernent le marché du cannabis et celui des nouveaux produits de synthèse (NPS). Ainsi, outre les cannabis factories et le mouvement des cannabis social clubs, une augmentation des cultures commerciales indoor tenues par des particuliers apparaît en France. Concernant les NPS, bien qu’Internet reste le vecteur principal d’achat, des ventes « directes » sont de plus en plus observées dans l’espace alternatif techno. Toutefois, elles sont plutôt le fait d’usagers ou de dealers isolés, ayant obtenu le produit via Internet et se livrant à des petits trafics, que de réseaux organisés.



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