Adressé à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) : principales évolutions du phénomène des drogues et des toxicomanies en France
Rapport national à l'OEDT - 2014
1. Politique des drogues : législation, stratégies et analyse économique
Le plan gouvernemental 2013-2017 de lutte contre les drogues et les conduites addictives, présenté en septembre 2013, repose sur trois grandes priorités : fonder l’action publique sur l’observation, la recherche et l’évaluation ; prendre en compte les populations les plus exposées (jeunes, femmes et publics précaires) ; et renforcer la sécurité, la tranquillité et la santé publiques au niveau national et international. En janvier 2014, ce texte est complété par la publication d’un programme de 131 actions pour la période 2013-2015, avec une évaluation sur quelques dispositifs répondant aux objectifs stratégiques du plan (prévention et communication, lutte contre les trafics, application de la loi, recherche, et coordination des actions nationales et internationales). La terminologie « conduites addictives » en lieu et place de « toxicomanie », aussi bien dans l’intitulé du plan que dans celui de la mission interministérielle (devenue MILDECA) chargée de sa mise en oeuvre, atteste de la volonté du gouvernement d’étendre son champ d’intervention à l’ensemble des addictions. Au niveau législatif, trois éléments peuvent être soulignés : en matière de cannabis thérapeutique, l’autorisation de mise sur le marché, pour la première fois en France, d’un médicament à base de cannabis (Sativex®) ; à propos des nouveaux produits de synthèse, le classement de la méthoxétamine comme stupéfiant et, concernant l’expérimentation d’une salle de consommation à moindre risque, l’avis négatif du Conseil d’État sur un projet de décret du gouvernement. Sur ce dernier point, l’inscription d’une telle expérience est néanmoins annoncée dans un projet de loi relatif à la santé publique.
2. Usages de drogues en population générale et au sein de groupes spécifiques
Les dernières prévalences d’usage disponibles en population générale datent de 2010-2011 (Baromètre santé de l’INPES 2010 pour les adultes ; HBSC 2010, ESPAD 2011 et ESCAPAD 2011 pour les adolescents). Quel que soit l’âge, le cannabis est de très loin le produit le plus consommé. L’usage problématique, appréhendé grâce au Cannabis Abuse Screening Test, n’est estimé que chez les adolescents de 17 ans : en 2011, parmi ceux ayant consommé du cannabis au cours de l’année, 18 % présentaient un risque élevé d’usage problématique, majoritairement des garçons. Concernant la perception des risques liés aux drogues, la moitié des Français considèrent que le cannabis est dangereux dès l’expérimentation ; ils sont plus de 8 sur 10 à le penser pour la cocaïne et l’héroïne. Par ailleurs, 70 % de la population estiment que fumer du cannabis conduit à consommer des drogues plus dangereuses par la suite.
3. Prévention
En matière d’alcool et de tabac, la politique de prévention s’appuie largement sur une stratégie environnementale, essentiellement instaurée par le législateur. En 2013, le principal levier utilisé a été la fiscalité, avec des résultats plutôt positifs en termes de réduction des ventes de tabac et de bière. De nombreux axes de travail sont prévus par le nouveau plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives : développer la prévention en milieu scolaire et professionnel, sensibiliser les acteurs des quartiers sensibles aux conduites addictives, soutenir les familles en difficulté, etc. Pour beaucoup, la réflexion et les travaux préliminaires à la mise en oeuvre sont en cours. Dans ce cadre, la Commission interministérielle de prévention des conduites addictives, lancée en février 2014, a pour but d’encourager une politique de prévention basée sur des programmes évalués et prometteurs. En 2013, les campagnes média menées dans le champ des addictions ont concerné uniquement le tabac (en mai puis en octobre, avec une campagne destinée aux jeunes) et l’alcool (en novembre).
4. Usages à hauts risques de drogues
La France ne dispose pas d’estimation du nombre d’usagers à hauts risques de drogues, tels que définis par l’EMCDDA, mais la dernière évaluation du nombre d’usagers problématiques, en 2011, aboutissait au chiffre de 275 000 à 360 000 personnes concernées (de 7 à 9 pour 1 000 habitants), plaçant le pays dans la moyenne de l’Union européenne. Pour ce qui est de l’usage à risque de cannabis, il n’existe pas de prévalence en population adulte mais seulement à 17 ans. Les caractéristiques des usagers à hauts risques de drogues ainsi que leurs consommations sont principalement connues grâce aux études menées auprès des personnes qui fréquentent les structures de réduction des risques. Cette population est majoritairement masculine (80 %) et âgée de plus de 35 ans (54 %), elle présente une forte vulnérabilité sociale et consomme en premier lieu alcool et cannabis, mais également des opiacés, de la cocaïne et des benzodiazépines.
5. Prise en charge : demande et offre de soins
En 2012, plus de 149 000 personnes ont bénéficié d’un remboursement pour un traitement de substitution aux opiacés, avec toujours une nette prédominance de la buprénorphine haut dosage (71 %), même si la part de la méthadone augmente. Cette tendance pourrait s’accentuer car une réflexion, inscrite dans le plan gouvernemental, est en cours pour élargir les conditions de prescription et de délivrance de la méthadone, notamment suite aux conclusions d’une expérimentation menée en médecine de ville (Méthaville). Pour ce qui est des demandes de traitement, les dernières données exploitables remontent à 2012. Les prises en charge pour un usage de cannabis tendaient alors à baisser alors que celles pour usage d’opiacés augmentaient. Concernant le profil sociodémographique des patients, l’âge moyen a augmenté depuis 2005, passant de 28 ans à 31 ans en 2013 ; la proportion de personnes bénéficiant de conditions de logement stables est, elle aussi, plutôt orientée à la hausse.
6. Conséquences sanitaires
En 2012, la contamination par usage de drogues par voie injectable représente seulement 1,2% des découvertes de séropositivité au VIH et la part des usagers injecteurs parmi les nouveaux cas de sida continue de baisser (5,9 % contre 7,7 % en 2011). Par ailleurs, la prévalence de l’infection à VIH chez les usagers de drogues ayant sniffé ou s’étant injectés au moins une fois au cours de la vie est égale à 10 % en 2011 (stable par rapport à 2004) ; elle atteint 44 % pour le VHC (contre 60 % sept ans auparavant). Le nombre de décès par surdose en 2011 est en baisse (249 chez les 15-49 ans) mais ce chiffre doit, pour des raisons méthodologiques, être interprété avec prudence. L’implication des médicaments de substitution aux opiacés, en particulier la méthadone, dans ces décès est croissante (60 % contre 54 % en 2010). L’enquête de cohorte mortalité a inclus 1 134 individus, parmi lesquels 970 (soit 86 %) dont le statut vital a été retrouvé en juillet 2013. Pour les hommes, le ratio standardisé de mortalité est de 5,2 ; pour les femmes, il est nettement plus élevé (20,8).
7. Réponse aux problèmes sanitaires liés à l'usage de drogues
La prévention des pathologies infectieuses liées à l’usage de drogues repose sur une politique de réduction des risques et sur l’incitation au dépistage du VIH et des hépatites B et C ainsi que la vaccination contre le VHB. Des recommandations sur la prise en charge des personnes infectées par le VHB et le VHC ainsi que sur la place des tests rapides d’orientation diagnostique pour le VHC, publiées début 2014, incitent à poursuivre et renforcer les actions entreprises dans ce sens. Par ailleurs, un dispositif de veille et d’alerte sanitaires liées aux drogues existe en France et une évaluation des kits d’injection a été réalisée, suivie de recommandations rendues publiques en 2014, visant à faire évoluer leur contenu (remplacement de l’alcool par la chlorhexidine, ajout d’un sachet d’acide ascorbique et d’une cupule avec manche pré-monté, seringues de 2 cm3 en complément de celles de 1 cm3, etc.).
8. Conséquences sociales et réinsertion sociale
La population accueillie dans les CSAPA et les CAARUD, qui assurent majoritairement l’accompagnement social des usagers de drogues en France, est dans une situation plus précaire (chômage, revenus intermittents, logement provisoire, sans-abris, etc.) que le reste de la population française, mais ne semble pas se dégrader. Toutefois, il reste difficile d’identifier les actions et programmes entrepris par ces structures pour favoriser l’insertion et la réinsertion de ces personnes. Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 réaffirme la volonté, déjà énoncée par son prédécesseur, d’une prise en charge globale afin d’améliorer la réussite du traitement, notamment en renforçant les échanges entre les structures spécialisées de soins et les centres d’hébergement sociaux « généralistes ».
9. Criminalité liée à l'usage de drogues, prévention de la criminalité liée à l'usage de drogues et prison
En 2013, 208 325 infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) ont été enregistrées par les services répressifs, soit une augmentation de 17 % au cours des cinq dernières années. Dans plus de huit cas sur dix, il s’agit de faits relatifs à l’usage, majoritairement de cannabis. Sur l’ensemble des condamnations, les 53 113 pour ILS représentent 9 % du total en 2012, dont près de 60 % liés à l’usage simple. La question de la sortie de prison reste complexe, notamment le risque de rupture des soins pour les usagers suivant un TSO ou atteints du VIH ou du VHC. Pour éviter cela, des programmes d'accueil au sein de structures sociales et médico-sociales ont été mis en place à titre expérimental. L’évaluation de ces dispositifs d’accueil, menée en 2012 par l’OFDT, a montré la difficulté à atteindre les objectifs de soins au sein d’une population qui cumule des problématiques sociales importantes.
10. Marché des drogues
Trois points émergent de l’observation du marché des drogues « classiques » : la part croissante de l’herbe de cannabis se confirme, le trafic de cocaïne dans les Antilles françaises s’intensifie et le taux de pureté de l’héroïne tend à augmenter. En 2013, les quantités de drogues saisies sont globalement en augmentation par rapport à 2012, en particulier celles de cannabis (notamment les graines). Les prix au détail sont plutôt stables pour une pureté plutôt en hausse. Le phénomène des nouveaux produits de synthèse (NPS) reste très dynamique, avec 36 nouvelles identifications en 2013, parmi lesquels une majorité de cannabinoïdes. Les dispositifs TREND et SINTES, notamment par le biais du projet européen I-TREND, ont permis d’observer la diffusion progressive de leur accessibilité et de leur consommation vers des sous-groupes spécifiques d'usagers, mais sans commune mesure avec l’usage des produits traditionnels et encore très majoritairement via le marché numérique (hormis la méthoxétamine visible aussi sur le marché « réel »).