Coordonnée par l’OFDT et financée par le Fonds de lutte contre les addictions, cette recherche vise à comparer les régimes de régulation du cannabis développés dans six juridictions nord-américaines : trois aux États-Unis (État de Washington, Oregon, Californie) et trois au Canada (Colombie-Britannique, Ontario, Québec). Elle s’appuie sur une enquête par immersion (entretiens et observations directes) menée entre 2019 et 2023.
Les résultats d’enquête permettent d’éclairer deux questions :
- Quels ont été les défis de mise en œuvre d’une « régulation » du cannabis ?
- Moins de dix ans après la mise en œuvre de cette régulation, quelles retombées observe-t-on, du point de vue de la santé publique et de la protection des mineurs ?
Pour y répondre, ce double numéro s’intéresse aux modèles de régulation adoptés dans les six territoires étudiés, aux premiers effets observables et à la dynamique d’ajustements qui s’est rapidement déclenchée. Il montre les défis de régulation découlant de la complexité du produit, dessinant ainsi une toile d’enseignements quant à une régulation du cannabis qui voudrait prioriser la santé publique.
La régulation du cannabis : enjeux et instruments (volet 1)
Le Tendances n°158 souligne d’abord la diversité des modalités de régulation du cannabis développés aux États-Unis et au Canada et la place variable accordée aux objectifs de santé publique. Il montre que les différents régimes de régulation du cannabis s’inspirent largement des politiques de régulation du tabac et, dans une moindre mesure, de l’alcool, dont ils partagent certaines finalités :
- Contrôler la visibilité et l’attractivité des produits mis en vente, afin notamment de limiter l’exposition des mineurs
- Améliorer la sécurité publique, en neutralisant le marché illicite du cannabis par l’assèchement du trafic et des réseaux de criminalité.
Néanmoins, en pratique, les stratégies de mise en place d’un marché du cannabis légal en Amérique du Nord ne sont qu’en partie guidées par des préoccupations de santé publique, à l’exception du Québec qui a priorisé la dimension sanitaire dans la régulation.
Par exemple, les juridictions états-uniennes autorisent l’innovation commerciale, ce qui a conduit à une forte diversification de l’offre de produits dérivés du cannabis et une démultiplication des manières de le consommer (ingestion, vapotage, dabbing, etc.). Ces choix de régulation « business-friendly » sont allés de pair avec une augmentation de la consommation parmi les adultes, en particulier dans les tranches d’âge au-delà de 25 ans. Ils ont également favorisé l’émergence d’une nouvelle génération de produits hautement concentrés en THC, dont la part de marché progresse sur les marchés légaux. Aucune des juridictions états-uniennes qui a légalisé le cannabis à usage « récréatif » ne plafonne le taux de THC des produits mis en vente. Cette approche contraste avec les choix affirmés par le gouvernement du Québec, par exemple, qui a fixé un taux maximal de THC de 30 % dans les produits mis en vente et interdit toute promotion du cannabis.
La régulation en pratique(s) : défis de mise en œuvre et effets (volet 2)
Le Tendances n°159 revient sur la mise en œuvre effective des politiques publiques visant à « réguler le cannabis », à la lumière des retours d’expériences des autorités de régulation et de santé publique. Il identifie plusieurs défis de mise en œuvre des politiques publiques de régulation du cannabis à usage non-médical :
- Des défis bien connus, qui se retrouvent également dans les politiques publiques encadrant le tabac et l’alcool : interdits partiellement respectés, contournement des règles de limitation de la publicité, difficulté à orienter les comportements d’usage ;
- Des défis spécifiques au cannabis : multiplicité des produits dérivés du cannabis, des modes d’usage, des effets (variables selon le mode de consommation), des contextes de consommation et des publics consommateurs (avec un effet de segmentation des clientèles amplifiée par la légalisation), qui rendent ce produit « plus difficile à réguler que l’alcool ou le tabac », du point de vue des autorités publiques.
Du fait de ces enjeux qui s’entremêlent et se complexifient, la régulation du cannabis apparaît comme un processus graduel, nécessitant des ajustements permanents à mesure que le déploiement du marché met à l’épreuve les modèles de régulation ou qu’il produit des effets non-anticipés. Ce cadre mouvant est susceptible de redéfinir à chaque fois la pondération des priorités, dont la santé publique est un aspect parmi d’autres, comme le développement économique ou la justice sociale.
Pour en savoir plus :
Pour aller plus loin : Dans le cadre de cette recherche collective, l’OFDT a coordonné la publication de revues de la littérature scientifique, de rapports sur les résultats des enquêtes de terrain et de la synthèse des observations et l’analyse comparative entre les Etats-Unis et le Canada.